Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

agir, voulut qu’il en fût autrement et que ce beau projet avortât sans élégance. Au dîner qui devait sceller cette bien parisienne union, je me montrai, envers la jeune femme, d’une telle goujaterie que, tout en larmes, honteuse et furieuse, elle quitta scandaleusement le salon et rentra chez elle, veuve de nos deux amours.

La petite fête fut fort abrégée… Eugène me ramena en voiture. Nous descendîmes les Champs-Élysées dans un silence tragique.

— Où veux-tu que je te dépose ? me dit le grand homme, comme nous tournions l’angle de la rue Royale.

— Au tripot… sur le boulevard… répondis-je, avec un ricanement… J’ai hâte de respirer un peu d’air pur, dans une société de braves gens…

Et, tout à coup, d’un geste découragé, mon ami me tapota les genoux et — oh ! je reverrai toute ma vie l’expression sinistre de sa bouche, et son regard de haine — il soupira :

— Allons !… Allons !… On ne fera jamais rien de toi !…

Il avait raison… Et, cette fois-là, je ne pus pas l’accuser que ce fût de sa faute…