Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/296

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comme un immense, comme un inexorable jardin des supplices… Partout du sang, et là où il y a plus de vie, partout d’horribles tourmenteurs qui fouillent les chairs, scient les os, vous retournent la peau, avec des faces sinistres de joie…

Ah oui ! le jardin des supplices !… Les passions, les appétits, les intérêts, les haines, le mensonge ; et les lois, et les institutions sociales, et la justice, l’amour, la gloire, l’héroïsme, les religions, en sont les fleurs monstrueuses et les hideux instruments de l’éternelle souffrance humaine… Ce que j’ai vu aujourd’hui, ce que j’ai entendu, existe et crie et hurle au-delà de ce jardin, qui n’est plus pour moi qu’un symbole, sur toute la terre… J’ai beau chercher une halte dans le crime, un repos dans la mort, je ne les trouve nulle part…

Je voudrais, oui, je voudrais me rassurer, me décrasser l’âme et le cerveau avec des souvenirs anciens, avec le souvenir des visages connus et familiers… J’appelle l’Europe à mon aide et ses civilisations hypocrites, et Paris, mon Paris du plaisir et du rire… Mais c’est la face d’Eugène Mortain que je vois grimacer sur les épaules du gros et loquace bour-