Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/298

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Elle ne répond pas, ne bouge pas, ne se retourne pas… Une vapeur, plus dense, bleu et argent, monte des pelouses, du bassin, enveloppe les massifs, estompe les charpentes de supplice… Et il me semble qu’une odeur de sang, qu’une odeur de cadavre monte avec elle, encens que d’invisibles encensoirs, balancés par d’invisibles mains, offrent à la gloire immortelle de la mort, à la gloire immortelle de Clara !

À l’autre bout du bassin, derrière moi, le gecko commence à sonner les heures… Un autre gecko lui répond… puis un autre… à intervalles réguliers… C’est comme des cloches qui s’appellent et conversent en chantant, des cloches festivales d’un timbre extraordinairement pur, d’une sonorité cristalline et douce, si douce, qu’elle dissipe tout d’un coup les figures de cauchemar, dont le jardin est hanté, qu’elle donne de la sécurité au silence, et à la nuit un charme de rêve blanc… Ces notes si claires, si inexprimablement claires, évoquent alors, en moi, mille et mille paysages nocturnes, où mes poumons respirent, où ma pensée se reprend… En quelques minutes, j’ai oublié que je suis auprès de Clara,