Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/50

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malheur, j’avais subi les effets de ce charme maléfique qui ne devait plus m’être une surprise… Eh bien ! toute ma combativité m’abandonna, mes haines se détendirent et, malgré moi, je me laissai aller à reprendre confiance, à si complètement oublier le passé, que cet homme, dont j’avais pénétré, en ses obscurs recoins, l’âme inexorable et fétide, je me plus à le considérer encore comme un généreux ami, un héros de bonté, un sauveur.

Et voici — ah ! je voudrais pouvoir rendre l’accent de force, de crime, d’inconscience et de grâce qu’il mit dans ses paroles — ce qu’il me dit :

— Tu as vu d’assez près la vie politique pour savoir qu’il existe un degré de puissance où l’homme le plus infâme se trouve protégé contre lui-même par ses propres infamies, à plus forte raison contre les autres par celles des autres… Pour un homme d’État, il n’est qu’une chose irréparable : l’honnêteté !… L’honnêteté est inerte et stérile, elle ignore la mise en valeur des appétits et des ambitions, les seules énergies par quoi l’on fonde quelque chose de durable. La preuve, c’est cet imbécile de Favrot, le seul