Page:Mirbeau - Le Jardin des supplices.djvu/54

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du Conseil, ou Mazas, émoustillait sa verve… Il se rapprocha de moi et, me tapotant les genoux, comme il faisait dans ses moments de détente et de gaieté, il répéta :

— Non… mais avoue que c’est drôle !

— Très drôle !… approuvai-je… Et moi, dans tout cela, qu’est-ce que je fais ?

— Toi ? Eh bien, voilà !… Toi, mon petit, il faut t’en aller, disparaître… un an… deux ans… qu’est-ce que c’est que cela ? Tu as besoin de te faire oublier.

Et, comme je me disposais à protester :

— Mais, sapristi !… Est-ce de ma faute… s’écria Eugène, si tu as gâché, stupidement, toutes les positions admirables que je t’ai mises, là, dans la main ?… Un an… deux ans… c’est vite passé… Tu reviendras avec une virginité nouvelle, et tout ce que tu voudras, je te le donnerai… D’ici là, rien, je ne puis rien… Parole !… je ne puis rien.

Un reste de fureur grondait en moi… mais ce fut d’une voix molle que je criai :

— Zut !… Zut !… Zut !…

Eugène sourit, comprenant que ma résistance finissait dans ce dernier hoquet.

— Allons ! allons !… me dit-il d’un air bon enfant… ne fais pas ta mauvaise tête.