Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/142

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et retournait dans la pièce… Il sifflotait, chantonnait :

Et allez donc, Mamz’elle Suzon !…
Et ron, ronron… petit patapon…

Une habitude qu’il a de mêler, en chantant, un tas de refrains…

J’entendis des chaises remuer, des placards s’ouvrir et se refermer, puis, l’eau ruisseler dans le tub des « Ah ! », des « Oh ! », des « Fuuii ! », des « Brrr ! » que la surprise de l’eau froide arrachait à Monsieur… Alors, brusquement, j’ouvris la porte…

Monsieur était devant moi, de face, la peau toute mouillée, grelottante, et l’éponge, en ses mains, coulait comme une fontaine… Ah !… sa tête, ses yeux, son immobilité !… Jamais, je ne vis, je crois, un homme aussi ahuri… N’ayant point de manteau pour recouvrir la nudité de son corps, par un geste, instinctivement pudique et comique, il s’était servi de l’éponge comme d’une feuille de vigne. Il me fallut une forte volonté pour réprimer, devant ce spectacle, le rire qui se déchaînait en moi. Je remarquai que Monsieur avait sur les épaules une grosse touffe de poils, et la poitrine, telle un ours… Tout de même, c’est un bel homme… Mazette !…

Naturellement, je poussai un cri de pudeur alarmée, ainsi qu’il convenait, et je refermai la porte avec violence… Mais derrière la porte, je