Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/147

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Oui, de les voir, cela éveillait en moi des idées, des images… comment exprimer cela ?… des désirs qui me persécutaient le reste de la journée et, faute de les pouvoir satisfaire comme j’eusse voulu, me livraient avec une frénésie sauvage à l’abêtissante, à la morne obsession de mes propres caresses…

Aujourd’hui, l’habitude qui remet toute chose en sa place, m’a appris un autre geste, plus conforme, je crois, à la réalité… Devant ces visages, sur qui les pâtes, les eaux de toilette, les poudres n’ont pu effacer les meurtrissures de la nuit, je hausse les épaules… Et ce qu’ils me font suer, le lendemain, ces honnêtes gens, avec leurs airs dignes, leurs manières vertueuses, leur mépris pour les filles qui fautent, et leurs recommandations sur la conduite et sur la morale :

— Célestine, vous regardez trop les hommes… Célestine, ça n’est pas convenable de causer, dans les coins, avec le valet de chambre… Célestine, ma maison n’est pas un mauvais lieu… Tant que vous serez à mon service et dans ma maison, je ne souffrirai pas…

Et patati… et patata !…

Ce qui n’empêche pas Monsieur, en dépit de sa morale, de vous jeter sur des divans, de vous pousser sur des lits… et de ne vous laisser, généralement, en échange d’une complaisance brusque et éphémère, autre chose qu’un enfant… Arrange-toi, après comme tu peux et si tu peux…