Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/168

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incidents domestiques que j’ai contés, jamais il ne se passe rien… Tous les jours sont pareils, et toutes les besognes, et tous les visages… C’est l’ennui dans la mort… Mais, je commence à être tellement abrutie, que je m’accommode de cet ennui, comme si c’était une chose naturelle. Même, d’être privée d’amour, cela ne me gêne pas trop, et je supporte sans trop de douloureux combats cette chasteté à laquelle je suis condamnée, à laquelle, plus tôt, je me suis condamnée, car j’ai renoncé à Monsieur, j’ai plaqué Monsieur définitivement. Monsieur m’embête, et je lui en veux de m’avoir, par lâcheté, débinée si grossièrement devant Madame… Ce n’est point qu’il se résigne ou qu’il me lâche. Au contraire… il s’obstine à tourner autour de moi, avec des yeux de plus en plus ronds, une bouche de plus en plus baveuse. Suivant une expression que j’ai lue dans je ne sais plus quel livre, c’est toujours vers mon auge qu’il mène s’abreuver les cochons de son désir…

Maintenant que les jours raccourcissent, Monsieur se tient, avant le dîner, dans son bureau, où il fait le diable sait quoi, par exemple… où il occupe son temps à remuer sans raison de vieux papiers, à pointer des catalogues de graines et des réclames de pharmacie, à feuilleter, d’un air distrait, de vieux livres de chasse… Il faut le voir, quand j’entre, à la nuit, pour fermer ses persiennes ou surveiller son feu. Alors, il se lève,