Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/21

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n’est pas extraordinaire, là… Est-ce donc si extraordinaire, mon Dieu ?

Monsieur s’emballait encore. À mesure qu’il parlait, ses paupières battaient, battaient comme des feuilles sous l’orage.

— Pourquoi ne dis-tu rien, Marie ?… Dis quelque chose… Pourquoi ne marches-tu pas ?… Marche un peu que je les voie remuer… que je les voie vivre… tes petites bottines…

Il s’agenouilla, baisa mes bottines, les pétrit de ses doigts fébriles et caresseurs, les délaça… Et, en les baisant, les pétrissant, les caressant, il disait d’une voix suppliante, d’une voix d’enfant qui pleure :

— Oh ! Marie… Marie… tes petites bottines… donne-les moi, tout de suite… tout de suite… tout de suite… Je les veux tout de suite… donne-les moi…

J’étais sans force… La stupéfaction me paralysait… Je ne savais plus si je vivais réellement ou si je rêvais… Des yeux de Monsieur, je ne voyais que deux petits globes blancs, striés de rouge. Et sa bouche était tout entière barbouillée d’une sorte de bave savonneuse…

Enfin, il emporta mes bottines et, durant deux heures, il s’enferma avec elles dans sa chambre…

— Vous plaisez beaucoup à Monsieur, me dit la gouvernante en me montrant la maison… Tâchez que cela continue… La place est bonne…

Quatre jours après, le matin, à l’heure habi-