Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/215

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des comtes, des marquis et des ducs… En venant déjeuner, hier, le général Mercier a dit à Jean : « Eh bien, mon brave Jean ? » Mon brave Jean !… Jules Guérin, dans l’Anti-juif, a écrit, sous ce titre : « Encore une victime des Youpins ! » ceci : « Notre vaillant camarade antisémite, M. Jean… etc… » Enfin, M. Forain, qui ne quitte plus la maison, a fait poser Jean pour un dessin, qui doit symboliser l’âme de la patrie… M. Forain trouve que Jean a « la gueule de ça ! »… C’est étonnant ce qu’il reçoit en ce moment d’accolades illustres, de sérieux pourboires, de distinctions honorifiques, extrêmement flatteuses. Et si, comme tout le fait croire, le général Mercier se décide à faire citer Jean, dans le futur procès Zola pour un faux témoignage… que l’état-major réglera ces jours-ci… rien ne manquerait plus à sa gloire… Le faux témoignage est ce qu’il y a de plus chic, de mieux porté, cette année, dans la haute société… Être choisi comme faux témoin, cela équivaut, en plus d’une gloire certaine et rapide, à gagner le gros lot de la loterie… M. Jean s’aperçoit bien qu’il fait, de plus en plus sensation, dans le quartier des Champs-Élysées… Quand, le soir, au café de la rue François-Ier, il va jouer « à la poule au gibier » ou qu’il mène, sur les trottoirs, pisser les chiens de Mme  la comtesse, il est l’objet de la curiosité et du respect universels… les chiens aussi, du reste… C’est pourquoi, en vue d’une célébrité qui ne peut manquer de