Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/240

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qu’il lisait… Son âme est bronzée désormais contre les surprises…

— Pourquoi ça ?… fait-il.

— Pour savoir…

Joseph dirige sur moi un regard lourd et profond… Ensuite il prend, sans affectation, l’air de quelqu’un qui fouillerait dans sa mémoire pour y retrouver des souvenirs déjà anciens. Et il répond :

— Ma foi !… je ne sais plus trop… je crois bien que c’était samedi…

— Le samedi où l’on a trouvé le cadavre de la petite Claire dans le bois ?… poursuis-je, en donnant à cette interrogation, trop vivement débitée, un ton agressif.

Joseph ne lève pas ses yeux de sur les miens. Son regard est devenu quelque chose de si aigu, de si terrible, que, malgré mon effronterie coutumière, je suis obligée de détourner la tête.

— C’est possible… fait-il encore… Ma foi !… je crois bien que c’était ce samedi-là…

Et il ajoute :

— Ah ! les sacrées femmes !… vous feriez bien mieux de penser à autre chose. Si vous lisiez le journal… vous verriez qu’on a encore tué des juifs en Alger… Ça, au moins, ça vaut la peine…

À part son regard, il est calme, naturel, presque bonhomme… Ses gestes sont aisés, sa voix ne tremble plus… Je me tais… et Joseph, repre-