Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/248

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une salade, ces vermines-là… Et puis, ma foi, non… faut que je vous cause, Célestine…

Joseph se leva, referma la porte qui était restée entr’ouverte, m’entraîna au fond de la sellerie. J’eus peur, une minute… La petite Claire, que j’avais oubliée, m’apparut sur la bruyère de la forêt, affreusement pâle et sanglante… Mais les regards de Joseph n’étaient pas méchants ; ils semblaient plutôt timides… On se voyait à peine dans cette pièce sombre qu’éclairait, d’une clarté trouble et sinistre, la lueur sourde de la lanterne… Jusque-là, la voix de Joseph avait tremblé. Elle prit soudain de l’assurance, presque de la gravité.

— Il y a déjà quelques jours que je voulais vous confier ça, Célestine… commença-t-il… Eh bien, voilà… J’ai de l’amitié pour vous… Vous êtes une bonne femme… une femme d’ordre… Maintenant, je vous connais bien, allez !…

Je crus devoir sourire d’un malicieux et gentil sourire, et je répliquai :

— Vous y avez mis le temps, avouez-le… Et pourquoi étiez-vous si désagréable avec moi ?… Vous ne me parliez jamais… vous me bousculiez toujours… Vous rappelez-vous les scènes que vous me faisiez, quand je traversais les allées que vous veniez de ratisser ?… Ô le vilain bourru !

Joseph se mit à rire et haussa les épaules :

— Ben oui… Ah ! dame, on ne connaît pas les gens du premier coup… Les femmes, surtout, c’est le diable à connaître… et vous arriviez