Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/359

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La sœur Boniface était devenue toute pâle… Je sentais qu’elle avait sur les lèvres des mots grossiers, orduriers, furieux, prêts à sortir… Elle n’osa pas les lâcher… et elle bégaya :

— Taisez-vous !… vous êtes une fille sans pudeur, sans religion… Dieu vous punira… Partez, si vous le voulez… nous retenons votre malle…

Je me campai toute droite devant elle, dans une attitude de défi, et la regardant bien en face :

— Ah ! je voudrais voir ça !… Essayez un peu de retenir ma malle… et vous allez voir rappliquer, tout de suite, le commissaire de police… Et si la religion, c’est de rapetasser les sales culottes de vos aumôniers, de voler le pain des pauvres filles, de spéculer sur les horreurs qui se passent toutes les nuits dans le dortoir…

La bonne sœur blêmit. Elle essaya de couvrir ma voix de sa voix :

— Mademoiselle… mademoiselle…

— Avec ça que vous ne savez rien des cochonneries qui se passent toutes les nuits, dans le dortoir !… Osez donc me dire, en face, les yeux dans les yeux, que vous les ignorez ?… Vous les encouragez, parce qu’elles vous rapportent… oui, parce qu’elles vous rapportent !…

Et trépidante, haletante, la gorge sèche, j’achevai mon réquisitoire.

— Si la religion, c’est tout cela… si c’est d’être une prison et un bordel ?… eh bien, oui, j’en ai plein le dos de la religion… Ma malle, entendez-