Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/420

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— On ne s’est pas arrangé, reprit-elle… Le vieux voulait me faire des saletés…

Un instant, je restai abasourdie par cette révélation. Était-ce possible ? Un désir, même le désir d’un ignoble et infâme vieillard, était allé vers elle, vers ce paquet de chair informe, vers cette ironie monstrueuse de la nature… Un baiser avait voulu se poser sur ces dents cariées, se mêler à ce souffle de pourriture… Ah ! quelle ordure est-ce donc que les hommes ?… Quelle folie effrayante est-ce donc que l’amour…. Je regardai Louise… Mais la flamme de ses yeux s’était éteinte…. Ses prunelles avaient repris leur aspect mort de tache grise.

— Il y a longtemps de ça ?… demandai-je…

— Trois mois…

— Et depuis, vous n’avez pas retrouvé de place ?

— Personne ne veut plus de moi… Je ne sais pas pourquoi… Quand j’entre dans le bureau, toutes les dames crient, en me voyant : « Non, non… je ne veux pas de celle-là »… Il y a un sort sur moi, pour sûr… Car enfin, je ne suis pas laide… je suis très forte… je connais le service… et j’ai de la bonne volonté. Si je suis trop petite, ce n’est pas de ma faute… Pour sûr, on a jeté un sort sur moi…

— Comment vivez-vous ?

— Chez le logeur ; je fais toutes les chambres, et je ravaude le linge… On me donne une