Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/421

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paillasse dans une soupente et, le matin, un repas…

Il y en avait donc de plus malheureuses que moi !… Cette pensée égoïste ramena dans mon cœur la pitié évanouie.

— Écoutez… ma petite Louise… dis-je d’une voix que j’essayai de rendre attendrie et convaincante… C’est très difficile, les places à Paris… Il faut savoir bien des choses, et les maîtres sont plus exigeants qu’ailleurs. J’ai bien peur pour vous… À votre place, moi, je retournerais au pays…

Mais Louise s’effraya :

— Non… non… fit-elle… jamais !… Je ne veux pas rentrer au pays… On dirait que je n’ai pas réussi… que personne n’a voulu de moi… on se moquerait trop… Non… non… c’est impossible… j’aimerais mieux mourir !…

À ce moment, la porte de l’antichambre s’ouvrit. La voix aigre de Mme Paulhat-Durand appela :

— Mademoiselle Louise Randon !

— C’est-y moi qu’on appelle ?… me demanda Louise, effarée et tremblante…

— Mais oui… c’est vous… Allez vite… et tâchez de réussir, cette fois….

Elle se leva, me donna dans la poitrine, avec ses coudes écartés, un renfoncement, me marcha sur les pieds, heurta la table, et roulant sur ses jambes trop courtes, poursuivie par les huées, elle disparut.