Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/44

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vers sur des cheveux dépeignés, elle m’a demandé d’où j’étais, où j’avais été, si j’avais fait de bonnes places, si j’étais contre les Juifs ?… Et nous avons causé, quelque temps, presque amicalement… À mon tour, j’ai demandé des renseignements sur la maison, s’il venait souvent du monde et quel genre de monde, si Monsieur faisait attention aux femmes de chambre, si Madame avait un amant ?…

Ah ! non, il fallait voir sa tête et celle de Joseph que mes questions interrompaient, par à-coups, dans sa lecture… Ce qu’ils étaient scandalisés et ridicules !… On n’a pas idée de ce qu’ils sont en retard, en province… Ça ne sait rien… ça ne voit rien… ça ne comprend rien… ça s’esbrouffe de la chose la plus naturelle… Et, cependant, lui, avec son air pataud et respectable, elle, avec ses manières vertueuses et débraillées, on ne m’ôtera pas de l’esprit qu’ils couchent ensemble… Ah ! non !… il faut être vraiment privée pour se payer un type comme ça…

— On voit bien que vous venez de Paris, de je ne sais d’où ?… m’a reproché aigrement la cuisinière.

À quoi Joseph, dodelinant de la tête, a brièvement ajouté :

— Pour sûr !…

Il s’est remis à lire la Libre Parole… Marianne s’est levée pesamment et a retiré la marmite du feu… Nous n’avons plus causé…

Alors, j’ai pensé à ma dernière place, à monsieur