Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/453

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femmes… Il s’appelait William… Quel joli nom !…

Durant le repas qui se prolongea, le vieux maître d’hôtel ne dit pas un mot, but beaucoup, mangea beaucoup. On ne faisait pas attention à lui, et il semblait un peu gâteux. Quant à William, il se montra charmant, galant, empressé, me fit sous la table des agaceries délicates, m’offrit, au café, des cigarettes russes dont il avait ses poches pleines… Puis m’attirant vers lui — j’étais un peu étourdie par le tabac, un peu grise aussi et toute défrisée — il m’assit sur ses genoux, et me souffla dans l’oreille des choses d’un raide… Ah ! ce qu’il était effronté !

Eugénie, la cuisinière, ne paraissait pas scandalisée de ces propos et de ces jeux. Inquiète, rêveuse, elle tendait sans cesse le cou vers la porte, dressait l’oreille au moindre bruit comme si elle eût attendu quelqu’un et, l’œil tout vague, elle lampait, coup sur coup, de pleins verres de vin… C’était une femme d’environ quarante-cinq ans, avec une forte poitrine, une bouche large aux lèvres charnues, sensuelles, des yeux langoureux et passionnés, un air de grande bonté triste. Enfin, du dehors, on frappa quelques coups discrets à la porte de service. Le visage d’Eugénie s’illumina ; elle se leva d’un bond, alla ouvrir… Je voulus reprendre une position plus convenable, n’étant pas au fait des habitudes de l’office, mais William m’enlaça plus fort, et me retint contre lui, d’une solide étreinte…