Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/466

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descend de son automobile, devant l’hôtel du baron. Le pansage vient de finir. Après avoir jeté sur la cour un regard de mauvaise humeur, il entre dans l’écurie et commence son inspection, suivi des palefreniers, inquiets et respectueux… Rien n’échappe à son œil soupçonneux et oblique : un seau pas à sa place, une tache aux chaînes d’acier, une éraillure sur les argents et les cuivres… Et il grogne, s’emporte, menace, la voix pituitaire, les bronches encore graillonnantes du champagne mal cuvé de la veille. Il pénètre dans chaque box, et passe sa main, gantée de gants blancs, à travers la crinière des chevaux, sur l’encolure, le ventre, les jambes. À la moindre trace de salissure sur les gants, il bourre les palefreniers ; c’est un flot de mots orduriers, de jurons outrageants, une tempête de gestes furibonds. Ensuite, il examine minutieusement le sabot des chevaux, flaire l’avoine dans le marbre des mangeoires, éprouve la litière, étudie longuement la forme, la couleur et la densité du crottin, qu’il ne trouve jamais à son goût.

— Est-ce du crottin, ça, nom de Dieu ?… Du crottin de cheval de fiacre, oui… Que j’en revoie demain de semblable, et je vous le ferai avaler, bougres de saligauds !…

Parfois, le baron, heureux de causer avec son piqueur, apparaît. À peine si Edgar s’aperçoit de la présence de son maître. Aux interrogations,