Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/470

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haute société, prétendait que Madame était la fille d’un ancien cocher et d’une ancienne femme de chambre, lesquels, à force de grattes et de mauvaise conduite, réunirent un petit capital, s’établirent usuriers en un quartier perdu de Paris, et gagnèrent rapidement, en prêtant de l’argent, principalement aux cocottes et aux gens de maison, une grosse fortune. Des veinards, quoi !…

Au vrai, Madame, malgré son apparente élégance et sa très jolie figure, avait de drôles de manières, des habitudes canailles qui me désobligeaient fort. Elle aimait le bœuf bouilli et le lard aux choux, la sale… et, comme les cochers de fiacre, son régal était de verser du vin rouge dans son potage. J’en avais honte pour elle… Souvent, dans ses querelles avec Monsieur, elle s’oubliait jusqu’à crier : « Merde ! » En ces moments-là, la colère remuait, au fond de son être mal nettoyé par un trop récent luxe, les persistantes boues familiales, et faisait monter à ses lèvres, ainsi qu’une malpropre écume, des mots… ah ! des mots que moi, qui ne suis pas une dame, je regrette souvent d’avoir prononcés… Mais voilà… on ne s’imagine pas combien il y a de femmes, avec des bouches d’anges, des yeux d’étoiles et des robes de trois mille francs, qui, chez elles, sont grossières de langage, ordurières de gestes, et dégoûtantes à force de vulgarité… de vraies pierreuses !…