Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/488

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étouffée par ce rire, étranglée par ce maudit rire qui se soulevait, en tempête, dans ma poitrine… et m’emplissait la gorge d’inextinguibles hoquets.

Madame resta un moment interdite devant ce rire.

— Qu’y a-t-il ?… Qu’avez-vous ?… Pourquoi riez-vous ainsi ?… Taisez-vous donc… Voulez-vous bien vous taire, vilaine fille…

Mais le rire me tenait… Il ne voulait plus me lâcher… Enfin, entre deux halètements, je criai :

— Ah ! non… c’est trop rigolo aussi, vos histoires… c’est trop bête… Oh ! la la !… Oh ! la la !… Que c’est bête !…

Naturellement, le soir, je quittais la maison et je me trouvais, une fois de plus, sur le pavé…

Chien de métier !… Chienne de vie !…


Le coup fut rude et je me dis — mais trop tard — que jamais je ne retrouverais une place comme celle-là… J’y avais tout : bons gages, profits de toutes sortes, besogne facile, liberté, plaisirs. Il n’y avait qu’à me laisser vivre. Quelqu’une d’autre, moins folle que moi, eût pu mettre beaucoup d’argent de côté, se monter peu à peu un joli trousseau de corps, une belle garde-robe, tout un ménage complet et très chic. Cinq ou six années seulement, et qui sait ?… on pouvait se marier, prendre un petit commerce, être chez soi, à l’abri du besoin et des mauvaises chances, heureuse, presque une dame… Maintenant, il fallait recom-