Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/52

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dons que pour y faire entrer plus d’argent, toujours… Elle laisse Monsieur sans un sou, c’est à peine s’il a de quoi s’acheter du tabac, le pauvre. Au milieu de sa richesse, il est encore plus dénué que tout le monde d’ici… Pourtant, il ne bronche pas, il ne bronche jamais… Il obéit comme les camarades. Ah ! ce qu’il est drôle, des fois, avec son air de chien embêté et soumis… Quand, Madame étant sortie, arrive un fournisseur avec une facture, un pauvre avec sa misère, un commissionnaire qui réclame un pourboire, il faut voir Monsieur… Monsieur est vraiment d’un comique !… Il fouille dans ses poches, se tâte, rougit, s’excuse, et il dit, l’œil piteux :

— Tiens !… Je n’ai pas de monnaie sur moi… Je n’ai que des billets de mille francs… Avez-vous de la monnaie de mille francs ?… Non ?… Alors, il faudra repasser…

Des billets de mille francs, lui, qui n’a jamais cent sous sur lui !… Jusqu’à son papier à lettre que Madame renferme dans une armoire, dont elle a, seule, la clef, et qu’elle ne lui donne que feuille par feuille, en grognant :

— Merci !… Tu en uses du papier… À qui donc peux-tu écrire pour en user autant ?…

Ce qu’on lui reproche seulement, ce que l’on ne comprend pas, c’est son indigne faiblesse et qu’il se laisse mener de la sorte par une pareille mégère… Car, enfin, personne ne l’ignore, et Madame le crie assez par-dessus les toits… Mon-