Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/60

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— Vite… vite… Je suis en retard… Déshabillez-moi…

D’où revenait-elle, avec ce visage fatigué, ces yeux cernés, épuisée jusqu’à tomber, comme une masse, sur le divan du cabinet de toilette ?… Et le désordre de ses dessous !… La chemise saccagée et salie, les jupons rattachés à la hâte, le corset de travers et délacé, les jarretelles libres, les bas tirebouchonnés… Et les cheveux désondulés, à la pointe desquels frissonnaient encore la raclure légère d’un drap, le duvet d’un oreiller !… Et la croûte de fard tombée, sous les baisers, de sa bouche, de ses joues, mettait à vif les meurtrissures et les plis de son visage, si cruellement, comme des plaies…

Pour essayer de détourner mes soupçons, elle gémissait :

— Je ne sais ce que j’ai eu… Cela m’a pris, tout d’un coup, chez la couturière… une syncope… On a été obligé de me déshabiller… Je suis encore toute malade…

Et, souvent, prise de pitié, je faisais semblant d’être la dupe de ces stupides explications…

Une matinée, tandis que j’étais auprès de Madame, on sonna. Le valet de chambre étant sorti, j’allai ouvrir… Un jeune homme entra… Aspect louche, sombre et vicieux… mi-ouvrier, mi-rôdeur… Un de ces êtres ambigus, comme on en rencontre, parfois, au bal Dourlans, et qui vivent du meurtre ou de l’amour… Il avait une figure