Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/61

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très pâle, de petites moustaches noires, une cravate rouge. Ses épaules s’engonçaient dans un veston trop large et il se dandinait, selon les rites les plus classiques. Il commença par inspecter, avec des regards surpris et troubles, la richesse de l’antichambre, le tapis, les glaces, les tableaux, les tentures… Puis il me tendit une lettre pour Madame, en me disant d’une voix traînante, grasseyante, mais impérieuse :

— Y a une réponse…

Venait-il pour son compte ?… N’était-ce qu’un commissionnaire ?… J’écartai cette seconde hypothèse. Les gens qui viennent pour les autres ne mettent pas tant d’autorité dans leur façon d’être et de parler…

— Je vais voir si Madame y est… fis-je prudemment, en tournant la lettre dans mes mains.

Il répliqua :

— Elle y est… Je le sais… Et pas de blagues !… C’est urgent…

Madame lut la lettre… Elle devint presque livide, et, dans cet effroi subit, elle s’oublia jusqu’à balbutier :

— Il est là, chez moi ?… Vous l’avez laissé seul, dans l’antichambre ?… Comment a-t-il su mon adresse ?

Mais, se remettant très vite, et d’un air détaché :

— Ce n’est rien… Je ne le connais pas… C’est