Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

été assassinée, au fond de quel bouge !… Et, comme nous parlions à l’office de mes terreurs, quelquefois, le maître d’hôtel, un petit vieux très laid, cynique, et qui avait sur le front une tache de vin, maugréait :

— Eh bien… quoi ?… Sûr que ça lui arrivera un jour ou l’autre… Qu’est-ce que vous voulez ?… Au lieu d’aller courir les souteneurs, cette vieille salope, pourquoi qu’elle ne s’adresse pas, dans sa maison, à un homme de confiance, de tout repos ?

— À vous, peut-être ?… ricanais-je…

Et le maître d’hôtel, se rengorgeant, parmi tous les pouffements de l’assistance, répliquait :

— Tiens !… Je l’arrangerais bien, moi, pour un peu de galette…

C’était une perle que cet homme-là…


Mon avant-dernière maîtresse, elle, c’était une autre histoire… Et ce que nous nous en faisions aussi une pinte de bon sang, le soir, autour de la table, le repas fini !… Aujourd’hui, je m’aperçois que nous avions tort, car Madame n’était pas une méchante femme. Elle était très douce, très généreuse, très malheureuse… Et elle me comblait de cadeaux… Des fois, on est vraiment trop rosse, ça il faut le dire… Et ça ne tombe jamais que sur celles qui se montrèrent gentilles pour nous…

Son mari, à celle-là… une espèce de savant, un membre de je ne sais plus quelle Académie, la négligeait beaucoup… Non qu’elle fût laide, elle