Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/62

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un pauvre… un pauvre très intéressant… Sa mère va mourir…

Elle ouvrit en hâte son secrétaire d’une main tremblante, en retira un billet de cent francs :

— Portez-lui ça… vite… vite… le pauvre garçon !…

— Mâtiche !… ne pus-je m’empêcher de grincer, entre mes dents. Madame est bien généreuse, aujourd’hui… Et ses pauvres ont de la chance.

Et j’appuyai sur ce mot de « pauvre », avec une intention féroce…

— Mais, allez donc !… ordonna Madame, qui ne tenait plus en place…

Quand je rentrai, Madame, qui n’avait pas beaucoup d’ordre et qui, souvent, laissait traîner ses affaires sur les meubles, avait déchiré la lettre, dont les derniers menus morceaux achevaient de se consumer dans la cheminée…

Je n’ai donc jamais su au juste ce que c’était que ce garçon… Et je ne l’ai pas revu… Mais ce que je sais, ce que j’ai vu, c’est que Madame, cette matinée-là, avant de passer sa chemise, ne se regarda pas nue dans la psyché… et elle ne me demanda point, en remontant ses déplorables seins : « N’est-ce pas qu’ils sont encore bien fermes ? » Toute la journée, elle resta chez elle, inquiète et nerveuse, sous l’impression d’une grande peur…

À partir de ce moment, quand Madame était en retard, le soir, je tremblais toujours qu’elle n’eût