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Page:Mirbeau - Le Mal moderne, paru dans l’Écho de Paris, 8 septembre 1891.djvu/8

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après 70, elle infiltrait chez nous le poison de son détestable esprit, et pourrissait nos écoles de ses désenchantantes philosophies et de ses barbares sciences… Alors, de bonne foi, vous croyez qu’un peuple qui possède des Barrès, des Gourmont, et même des Sully-Prudhomme, est un peuple bien portant… et qu’il n’a pas besoin, ce peuple, d’un bain de sang, d’un bain complet !…

Premier passant

Je vous ai laissé parler, quoique je connusse à l’avance, tous vos arguments. Ils ne sont pas neufs, s’ils sont déplorables. C’est l’éternel rabâchage qui, tous les jours, s’étale dans une certaine presse bien parisienne, et qui ferait sourire de pitié, s’il n’était, au fond, triste à pleurer. Vous vous imaginez que l’état moral d’un peuple se mesure au nombre des chicards de vos carnavals et des recettes de vos bals de l’Opéra. La France s’ennuie ! Non, elle ne s’ennuie pas. Elle a une façon de s’amuser qui n’est pas la vôtre, voilà tout. Les joies, les plaisirs d’une jeunesse varient de caractère, suivant son degré de culture intellectuelle. Pour n’être pas toujours aussi bruyants, pour répudier les rites sauvages et grossiers que vous aimez, ils n’en sont pas moins vifs, croyez-le bien. Ils changent d’objet et acquièrent de la noblesse, voilà tout. Les critiques, en jugeant une belle œuvre, par exemple, crient : « C’est beau, mais mon Dieu que c’est ennuyeux ! » C’est ennuyeux, pour eux, qui ne savent