LE PAUVRE PÊCHEUR !
L’intérieur misérable d’un bateau de pêcheur amarré sur le fleuve, contre la berge. Il fait sombre ; il fait froid. Une lueur très pâle, une lueur sourde de nuit sans lune entre par deux petites lucarnes, éclaire vaguement, çà et là, la pièce basse, remplie de pesantes ténèbres. Près d’un poêle sans feu, la mère est assise sur un escabeau et allaite un nouveau né. Une grande fille de quinze ans est couchée sur un matelas fait de guenilles entassées. Six enfants grouillent dans l’ombre. Les uns pleurent et se plaignent ; les autres dorment. Au dehors, le vent siffle et secoue les plaques de zinc dont est recouvert le toit du bateau. Le fleuve clapote. De temps en temps les trains de bateaux passent, le long de l’autre berge ; leurs machines gémissent et hurlent dans la nuit.
Quelle heure est-il ?
Je ne sais pas.
Il doit être tard !…
Je ne sais pas.
Voilà si longtemps déjà qu’il fait nuit ! Il me semble qu’il y a déjà plusieurs jours qu’il fait nuit… Il doit être tard… Est-ce qu’il pleut ?
Je ne sais pas… Je n’entends pas la pluie… Je n’entends que le vent.
Mon Dieu ! comme le vent est brutal contre notre pauvre bateau… Comme il le secoue !… Est-ce qu’il va pleuvoir ?
Je ne sais pas.
Parce qu’il y a des trous, là, et que le zinc ne tient plus… et que vous serez mouillés. Il fait si froid ! J’aimerais mieux être dans une maison de pierre.
Puisque personne ne voulait plus nous loger !…
Sans doute !… Sans doute !… C’est bien triste d’être pauvre… On ne vous donne plus rien !… On fait peur au monde !… (Un silence)… Il doit être tard… Il ne passe plus personne sur le chemin… Je n’entends plus personne, nulle part… il doit être tard (Un silence)… Et puis quand on n’a pas mangé, il semble qu’il est plus tard encore !… Amélie.
Quoi ?
Regarde S’il y a encore de la lumière aux fenêtres de M. Rateau.
Pourquoi faire ?
Pour savoir s’il est tard.
Je suis fatiguée… Je suis couchée… Ça n’avancera à rien.
Regarde tout de même.
Quel vent !… Non, il n’y a plus de lumières aux fenêtres de M. Rateau.
Il n’y a plus de lumières aux fenêtres de M. Rateau ?… Alors, il est très tard !… Amélie !
Eh bien ?
Regarde si les réverbères du pont sont éteints ?
Oui, les réverbères du pont sont éteints.
Les réverbères du pont sont éteints !… Alors, il est très tard… Amélie !
Quoi ?
Regarde si tu entends du bruit vers l’auberge du pont ?
Non, je n’entends pas de bruit vers l’auberge du pont !