Tu n’entends pas de bruit ?… Alors il est très, très tard… Regarde s’il pleut ?
Il y a de gros nuages noirs dans le ciel… Mais il ne pleut pas encore… Il y a trop de vent.
Vois-tu l’eau de la rivière ?
Oui, je vois l’eau…
Tu ne vois pas de barque sur l’eau ?
Non !
Je crois qu’il est tard… Je crois qu’il est plus tard qu’hier…
Oui, je crois qu’il est plus tard.
Où es-tu ?… Je ne te vois plus…
Je suis couchée… J’ai tant marché aujourd’hui !
Le père ne rentre pas… Il tarde bien à rentrer…
Il doit être saoul, encore.
Sais-tu si Hubert est rentré ?
Oui, Hubert est rentré.
Sais-tu s’il a du poisson ?
Je ne sais pas… Mais il n’y a plus de poisson… personne ne prend plus de poisson !
Ah ! le père tarde trop… Il est peut-être arrivé un malheur !
Quel malheur ?… Tu dis ça tous les jours !… Ah oui, un malheur !… Il est saoul… Et il nous battra en rentrant.
Dieu veuille qu’il vienne avec du poisson !… Parce qu’il ne nous battra pas…
Du poisson !… Il n’y a plus de poisson !… Voilà plus de quinze jours qu’il n’y a plus de poisson.
J’ai peur qu’il ne soit arrivé un malheur !
Ça vaudrait peut-être mieux qu’il soit arrivé un malheur !
Ne dis pas ça ! Ne parle pas comme ça !… Et qui donc te nourrirait, mauvais enfant ?
Nous crevons de faim.
J’ai faim.
J’ai froid !
Écoute… Onze heures !… C’est qu’il est saoul, alors !… Il se sera encore arrêté au barrage… Et il aura bu !… Mon Dieu !
(L’enfant crie et se débat dans ses bras. Elle le berce d’une chanson plaintive que le froid rend toute grelottante.)
J’ai faim.
J’ai froid !
Allons ! Dormez ! Jules, pourquoi ne dors-tu pas ?… Marie, veux-tu bien ne plus crier !… Dormez !… Do…o…ormez !… Dodo !… Faites dodo.
(Elle chantonne ainsi d’une voix tremblée jusqu’à ce que les petits soient apaisés. — Silence.)
Moi aussi, je vais dormir… Je n’en puis plus de fatigue.
Je n’ai plus de lait… Mes seins sont vides… Amélie !
Laisse-moi, je vais dormir…
Tu es sure que nous n’avons plus de pain ?
Non, il n’y a plus de pain…
Il n’y a plus de chandelle, non plus ?
Non, il n’y a plus de chandelle… Laisse-moi, je vais dormir…
Je n’aime pas beaucoup l’obscurité, quand ton père rentre… Il me semble que ça le rend encore plus colère… Amélie ! Alors il n’y a plus rien !
Non, il n’y a plus rien… Laisse-moi dormir.
C’est de ta faute aussi… Pourquoi n’as-tu rien rapporté aujourd’hui ?
On ne m’a rien donné… Tu sais bien qu’on ne me donne plus rien… On me