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cipale figure du livre, vers qui toutes les autres convergent, le baron Saffre.

Le baron Saffre est vraiment le dieu de l’or. Financier millionnaire, joueur colossal et révolutionnant toutes les Bourses du monde, sa main est partout, et tous sont à ses pieds. Chacun, grands et petits, s’efforcent de se frotter à cette statue vivante de l’or, dans l’espoir qu’il en restera quelques parcelles sur leur habit, sur leur conscience, sur leur honneur. Il soudoie des altesses royales qui se montrent à ses fêtes, paye le luxe des maris en achetant leurs femmes, entretient une armée de parasites, alimente les caisses des partis politiques, redore les cassettes des prétendants, humilie de son patrimoine et de sa supériorité intellectuelle l’aristocratie dédaigneuse d’abord, bientôt vaincue et achetée et payée comptant par ce grand corrupteur d’hommes. M. Paul Hervieu le peint d’un trait : « Son esprit de conduite, écrit-il, sa célèbre habileté étaient fondés sur l’art, en tout, de suspecter tout le monde, et de toujours supposer le pire. Grâce à cette méthode, ses surprises ne pouvaient plus lui servir de conclusions qu’en l’honneur de l’humanité. » Hélas ! de pareilles conclusions, il n’avait pas souvent l’occasion de les formuler.

C’est autour de ce colossal personnage que s’agitent les multiples éléments du drame terrible qu’est l’Armature. Toutes les convoitises abominables qu’attire cette perpétuelle flambée