Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/165

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C’était tapé et d’une littérature en quelque sorte mathématique… Aussi l’Empire est tombé sous les coups de tant d’esprit ! Qu’est-ce que tu veux !… Aujourd’hui, avec la liberté de la presse, il n’y a plus de finesse d’écrire, plus de style, plus rien !… Et Monselet, mon vieux ?… Tu ne l’as pas connu ?… Et Roqueplan ?… Et Dinochau ?… Finis, morts, disparus ! Il n’y a plus que des Nietzsche, des Schopenhauer… Et les dieux de maintenant ? Flaubert, Renan… Des raseurs !… Ah ! Pauvre France !

Car il plaignait beaucoup la France. Et toutes ses histoires, tous ses souvenirs, toutes ses discussions esthétiques, littéraires, politiques et sociales se terminaient invariablement par cette exclamation douloureuse :

— Pauvre France !… Ah ! pauvre France !

Ce qu’il plaignait surtout, dans la France, c’est qu’elle était devenue triste, tout d’un coup, triste et morne. Elle ne savait plus s’amuser, et c’était le grand mal, le grand poison… Les peuples tristes et qui pensent, sont des peuples vaincus d’avance… Il faut, disait-il, qu’un peuple puisse passer gaiement d’un éclat de rire à un éclat de bombe… Or, aujourd’hui, l’on ne rit plus, et l’on ne se bat plus !…

— Ah ! pauvre France !

Il y a quelques mois, je le rencontrai sur le boulevard de Clichy. Il était fort vieux et cassé ; mais son âme demeurait ferme dans ses anciennes croyances. Je l’emmenai dans un petit