Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/195

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mey… Il semble que je vis maintenant en un pays inconnu et décoloré, soumis à des lois stupides et à des mœurs barbares. Chez moi, dans ma propre case, ou dans nos merveilleuses forêts de palmiers, je me fais l’effet d’être à moi-même un étranger… On ne massacre plus, ou si peu que ce n’est pas la peine d’en parler. Ces admirables, ces splendides sacrifices humains qui avaient fait de notre peuple le plus beau, le plus grand peuple de la terre, sont désormais abolis ! Il ne nous en reste plus que le souvenir regretté, et ces pieuses reliques que vous avez admirées, tout à l’heure, dans la salle de notre exposition : ces longs coutelas, si lourds, qui versèrent tant de sang et tranchèrent tant de têtes… Et aussi ces masques terribles des féticheurs devenus des objets de musée, et pour ainsi dire les pièces à conviction de notre sublime histoire. Hélas ! on ne respecte plus rien. Et tout s’en va !… Lorsque, le soir, à Kotonou, où j’habite, je vais prendre le frais sur le chemin qui longe les fossés de la ville, je ne respire plus cette bonne et fortifiante odeur de cadavres décapités qui, jadis, y pourrissaient, en masses profondes, pendant des mois et des mois… Maintenant, ce sont des musiques militaires qui jouent « Haydée »… et les parfums de quelques maigres rosiers qu’un cosmopolitisme féroce essaye d’acclimater là-bas… C’est dégoûtant !…

Je ne garantis pas l’exactitude de ces paroles,