Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/197

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Vers le soir, alors que des musiques bizarrement ululantes commencèrent d’appeler la foule à des spectacles différents, le calme se rétablit autour de nous. Le nègre put parler, et voici comment M. de Wyzewa traduisit ses paroles :

— Vous ne pouvez pas vous faire la moindre idée de ce qu’était jadis, le palais de notre grand roi, que ce bâtiment sans caractère a l’impudente hardiesse de vouloir représenter… Ce palais était d’une beauté inouïe, surtout le toit, entièrement couvert, ou, mieux, entièrement pavé de têtes coupées… Par exemple, il fallait d’habiles charpentiers et qui sussent arranger comme de la marqueterie, comme de la mosaïque, ces têtes, car le roi ne tolérait pas que la pluie tombât dans son palais… Il exigeait, sous peine de mort, que ces têtes fussent aussi imperméables que la tuile d’Europe ou le chaume de la paillote hindoue… Ah ! la belle ouvrage, monsir !… L’aspect en était vraiment féerique et l’odeur délicieuse… Par certains vents, elle se répandait sur la ville comme une pluie de parfums qui tombe du vaporisateur de M. de Montesquiou (c’est toujours M. de Wyzewa qui traduit). Mais ce genre de toiture n’était pas très solide, du moins il ne durait pas longtemps… Soit que les têtes se missent à pourrir et qu’elles se désagrégeassent sous l’action de la putréfaction, soit que les vautours parvinssent à en chaparder quelques-unes, des fis-