Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/23

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pagner le transport d’exilés ; ce qui lui fut accordé.

« Pendant des semaines, des mois, l’espoir et l’amour lui donnèrent le courage surhumain de supporter, sans plainte, le cahotement du télégas, la poussière, la chaleur et la pluie, la mauvaise nourriture, les durs lits de camp, l’air empesté des maisons d’étape, mais enfin ses forces s’épuisèrent. Sous le poids de la douleur et des privations, sans cesse préoccupée du mari, et de l’enfant que, pour le retrouver, elle avait quitté, son corps et son esprit se brisèrent. Mais elle se tint encore debout, quoiqu’elle montrât des signes de désordre mental. Près d’Irkutsk, elle se remit, parla sans cesse de son cher mari, que bientôt elle espérait revoir. Car, abusée, elle croyait qu’il se trouvait au village de Werkholensk, qui n’est pas fort éloigné d’Irkutsk, tandis qu’il était à Werkhojansk, situé 4.500 kilomètres plus loin encore. Ce fut le dernier coup. Quand elle apprit qu’un long, interminable chemin à travers steppes et forêts se déployait encore devant elle, et qu’elle avait à voyager toute seule, pendant plusieurs mois, en traîneaux attelés de chiens et de rennes, la folie éclata, irrémédiable, et quelques semaines plus tard, elle mourut à l’hôpital d’Irkutsk, sans avoir revu son mari, pour lequel elle avait, par amour, tant souffert ! »

Et je ne puis m’empêcher de penser à cet autre voyage, interrompu par la bombe de