Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/165

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qu’il préférait aux saucisses fumées de Francfort. Sa conscience et son estomac d’Allemand n’eurent aucun scrupule à m’en faire confidence. C’était un Allemand comme on n’en voit pas dans les mots de la fin.

En fréquentant davantage cet ennemi héréditaire de ma race, j’acquis la triste conviction qu’il eût été fort embarrassé si la fantaisie lui était venue — elle ne lui vint pas — d’être chroniqueur sympathique ou critique éminent dans l’un de nos journaux sérieux et répandus, car il était très instruit des choses de la France, et notre littérature le passionnait. Mais quelle pitié ! Et quelle traditionnelle lourdeur ! Ses connaissances littéraires ne se bornaient point aux ouvrages de M. Claretie et aux pièces de M. Meilhac ; elles embrassaient fort irrévérencieusement toute la diversité, toute la disparité de l’effort contemporain. Il parlait avec enthousiasme, avec respect, de M. Huysmans, de son pessimisme faisandé, de ses raffinements de dégoût, magnifiquement parés de toutes les gemmes, de toutes les joailleries du verbe. Il ne se permettait — et c’est là que perçait le bout de l’oreille allemande — il ne se permettait aucune parisienne plaisanterie à l’égard de M. Stéphane Mallarmé, dont le mystère l’attirait, le fascinait, comme une eau profonde et magique, qui se cache sous des retombées de fleurs étranges, « ces étranges fleurs » par Baudelaire cueillies, sous des cieux plus beaux, pour en orner « les étagères » de ses amants morts.