Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/171

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et belle. Mais écoutez bien, les murs sonnent le vide. L’homme la traverse et n’y habite point.

Dans l’œuvre de M. Daudet, moins carrée de forme et plus restreinte de proportion, l’intérieur est plus soigné, plus habitable, plus intime. On voit que des êtres faits comme nous ont passé là, y ont vécu, y ont aimé, y ont pensé, y ont souffert. On constate, à chaque pas, l’empreinte de leur cerveau et de leur cœur. Et comme il le possède, ce pauvre cœur de l’homme ! Comme il en compte les pulsations, comme il en montre les déchirures et les plus secrètes douleurs ! Comme il met à nu, de sa main délicate et souple, ses ressorts les mieux dissimulés ! Comme il monte et démonte le mécanisme fragile, compliqué, de l’horlogerie humaine, qui se brise vite entre les poings trop rudes de M. Zola.

— Et si vous connaissiez, lui dis-je, l’œuvre parlée du prodigieux charmeur, cette œuvre de toutes les minutes, qui ne sera jamais écrite et qui est pourtant du génie. Un mot jeté dans la conversation, un bibelot, un bruit, un parfum, rien… et voilà que les idées partent, s’envolent, fourmillent, étincelantes et pressées, avec une prodigalité, une spontanéité d’intellect telle que les plus anciens amis en sont chaque fois étonnés. Souvenirs revivants du passé, visions profondes de l’avenir, sifflantes ironies, inoubliables évocations d’humanité coudoyée et sitôt dévoilée, mélancolies attendries,