Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en fin de compte, reste à ce dernier. On assomme la grâce de M. Daudet avec la force de M. Zola. Cela ne vous semble-t-il pas, comme à moi, souverainement injuste ? Certes, M. Zola est fort. Son œuvre est puissante. Un grand courant l’emporte, qui roule pêle-mêle l’or pur et les gravats. Cela se déchaîne en tempête, écume, bouillonne, soulève les rochers, entraîne les arbres déracinés aussi bien que les petites fleurs pâles de la berge envahie. Le spectacle est grandiose, et la sonorité qui en monte impressionne et subjugue.

Peut-être n’y a-t-il là, au fond, que l’illusion de ce décor et de cette sonorité. De même que, dans la voix hurlante des foules, il est impossible de percevoir le cri d’une âme ; de même, dans ce grand courant, les images se brouillent l’une dans l’autre et la surface tourmentée ne les reproduit que par reflets tronqués, confondus. Je me représente autrement M. Alphonse Daudet. C’est un fleuve dont les eaux sont profondes et claires, et qui coule lentement, reflétant le vaste ciel entre des rives fleuries, toutes couvertes de belles moissons. Cette grâce est aussi de la puissance, croyez-moi… Mais trêve de classiques comparaisons.. Ce qui me séduit en M. Alphonse Daudet et ce que M. Émile Zola possède à un degré moindre, c’est l’intelligence de la vie interne de l’homme. L’un est tout en décor, l’autre tout en âme. L’œuvre de M. Émile Zola est solidement construite. Elle a six étages. La façade en est carrée, imposante