Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/188

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de la critique asservie ou indifférente, les premiers à les arracher de l’ombre où, chez nous, tout conspire, tout s’acharne à les ensevelir, les premiers à les acclamer, à les réaliser dans leur forme vivante, comment admettre que ces Belges ne sont que des singes, ou qu’ils ne sont pas ?

Que diraient M. Cladel, M. Émile Bergerat, M. Chabrier, M. Reyer ? Que diraient tous les refusés du théâtre, des librairies, des expositions officielles, tous les pas-de-chance qui ont trouvé là, pour leurs œuvres méprisées de nous, insultées par nous, un asile fraternel et sûr ? Que dirait l’ombre de Villiers, que nous avons laissé mourir de faim, et qui put entrevoir, aux dernières années de sa vie, en cette vaine Belgique, où l’on entoura de respect sa douloureuse pauvreté, ce qu’aurait été la gloire due à son exceptionnel génie, par nous méconnu ou nié ? Que dirait M. Stéphane Mallarmé qui, hier encore, faisait entendre son éloquente et si fidèle parole à ces Belges qui, non seulement ne ricanaient pas, mais le comprenaient, ravis de la noblesse de ce haut et rare et exquis esprit, tant de foi raillé par les plaisantins de la chronique, incapables de concevoir qu’il y ait tant d’art dans un cerveau, tant de simplicité dans une âme ? Où donc a-t-on mieux fêté qu’en Belgique les inimitables œuvres de ces êtres de luxe, Huysmans, le fastueux et dégoûté chercheur des au-delà ; Verlaine, le douloureux vagabond de la pitié humaine ; Laforgue, qui sut faire battre dans ses