Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/187

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l’étrange audace de la publier. Avec ces façons-là, qui sont façons belges ordinaires, il n’est plus de littérature possible. Et mieux vaudrait vendre des saumures, surtout si des écrivain français, impolitiques ou mal intentionnés, se mettent à soutenir cet insoutenable paradoxe qu’il existe sur le globe terrestre une Belgique, dans cette Belgique des Belges, et parmi ces Belges, des poètes, et des poètes de talent… Où donc avais-je la tête quand me vint cette lubie ?

Donc je ne demanderais pas mieux que de faire amende honorable et, pour rentrer en grâce auprès des jeunes de mon pays, je serais assez décidé à biffer, publiquement, d’un trait de plume — qu’est-ce que cela me coûterait ? — et la Belgique et les Belges. La chose est facile. Mais — telle est la tournure inquiète de mon esprit — j’y ai quelques scrupules. Au fond du révolté que je suis, il y a un réactionnaire timide qui sommeille. Je ne puis pas oublier, tout à fait, ce que j’ai appris autrefois, ce que j’ai vu, ce qui m’a ému, ce qui m’a charmé. Bruxelles, Anvers, Bruges, Liège, Gand, toutes ces merveilles où dort tout un passé de gloire, où rayonne encore l’âme éternelle et protectrice de tant de génies : les Van Eyck, les Rubens, les Van Dyck, etc., comment admettre que tout cela n’est qu’un rêve ou qu’une blague de M. Camille Lemonnier ? Comment admettre aussi que les Belges, si hospitaliers, si passionnés d’art, les premiers toujours à bravement accueillir nos œuvres libres, à les défendre contre les routines