Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/206

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tant recommandées par les critiques qui tournent leurs pouces sur le nombril de M. Renan ; et le livre qui risquerait pareille aventure risquerait fort de ne pas se vendre. Or les livres ne sont faits que pour être vendus ; et l’amour seul se vend chez les éditeurs aussi bien que sur les trottoirs. La littérature est un commerce comme un autre, plus exigeant qu’un autre, en ce sens qu’il se meut dans un cercle de production étroit et restreint aux choses de l’amour. Le public veut de l’amour et ne veut que de l’amour. Les littérateurs sont bien forcés d’en vendre. Ils en vendent en boîte, en sac, en flacon, en bouteille. Ils en vendent de frais, de conservé, de mariné, de fumé. L’étonnant est qu’après en avoir tant vendu, ils en aient encore à vendre, sous quelque forme que ce soit.

Stuart Mill, qui n’était pas un fantaisiste, en sa qualité de logicien, mais qui aimait la musique, comme la seule consolation aux angoisses morales qui l’assaillirent durant une période critique de sa vie, faillit devenir fou à la pensée soudaine que les accords musicaux pouvaient s’épuiser: « L’octave — écrit-il dans ses Mémoires — se compose de tons et de demi-tons, qui ne peuvent former qu’un petit nombre de combinaisons, dont quelques-unes seulement sont belles. La plupart ont déjà été inventées. Il pourrait donc arriver que l’humanité ne vît plus naître un second Mozart. » Cette crainte l’amena au seuil du suicide.