Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/209

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premiers sont priés chaque jour à des tables recherchées, et que le troisième est marin. Cela les étonne et ils admirent.

Tel est l’état actuel de la littérature. Il n’y a pas d’indice pour qu’il change, de longtemps. Nous sommes encore condamnés à de longs adultères et à d’innombrables : « Dis-moi que tu m’aimes. » Et la plume qui doit écrire le livre rêvé par M. Magnard, le livre qui contiendrait l’histoire contemporaine et toute neuve de nos idées, et non plus l’éternel recommencement de nos sentimentalités vieillottes, n’est pas près d’être forgée.

Pourtant, le moment serait favorable à l’éclosion d’une telle œuvre. Nous sommes à une période historique, et probablement à la veille de grandes transformations. Il n’est pas besoin d’être un esprit profond pour comprendre que des événements se préparent, plus considérables qu’aucun de ceux qui se sont accomplis dans le passé. Les multiples découvertes de la science, le résultat des enquêtes biologiques, anthropologiques, astronomiques, qui restituent à la matière les phénomènes que nous avons l’habitude d’attribuer à une force supra-naturelle, leur application au bien-être de l’humanité rendent l’heure que nous vivons particulièrement troublante. Les institutions politiques, économiques et sociales, toutes d’oppression et de mensonge, qui régissent les peuples, ne correspondent plus à nos besoins ni aux idées qui éveillent en nous un rêve de justice, de liberté et de bonheur.