Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

il pas promené tous nos rêves en jupes de taffetas zinzolin et toutes les féeries de nos rêves au milieu d’une nature embuissonnée de roses, dans des paradis de lumières dorées, consolantes et fausses comme l’idéal ?

En art, l’exactitude est la déformation et la vérité est le mensonge. Il n’y a rien d’absolument exact et rien d’absolument vrai, ou plutôt il existe autant de vérités humaines que d’individus. Nous avons bien assez de pénétrer en nous-mêmes, et d’analyser ce que nous voyons et ce que nous sentons, pour que nous tentions par surcroît, de pénétrer dans l’être intime des autres et de substituer nos yeux, nos nerfs, notre âme, aux yeux, aux nerfs, à l’âme des autres ? Pourquoi, d’ailleurs ? Le véritable créateur est celui qui, dans ses œuvres, livre, tableau, symphonie, se crée lui-même, celui qui, comme Baudelaire et Stendhal, met son âme propre dans le rêve de la vie, tel qu’il le conçoit et tel qu’il le comprend, l’un avec sa forme exaspérée et inquiète, l’autre avec son implacable tranquillité, tous les deux visionnaires, tous les deux artistes, tous les deux ravagés par la passion de l’idéal et le rêve de l’amour. Rembrandt, en ressuscitant Jésus, s’est-il préoccupé de faire de l’exactitude, et de donner à la résurrection du Dieu une allure mathématique et gourmée de document ? Il a peint des Hollandais ; la lumière qui entre par la fenêtre entr’ouverte, c’est le jour jaune de la Hollande. Et