Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

toujours la peine de nos timidités intellectuelles et de nos lâchetés morales. Ah ! oui, nous sommes un grand peuple.

M. de Gourmont s’est retiré, très dignement. Il a même prié ses amis, qui voulaient organiser une protestation contre l’inqualifiable mesure qui le frappe, de ne faire aucun bruit autour de son nom. Et je pense qu’il a dû transmettre ses fonctions à quelque militaire impatient, qui aura sans doute juré de nous rendre, à bref délai, l’Alsace et la Lorraine. Je le vois d’ici ce militaire, et je l’entends, quand il passe devant les rayons où sont les œuvres de Goethe, hurler de sa voix rauque d’absinthe et de patriotisme :

—… Spèce de salop… spèce de mufle… Prussien… Je t’en f…icherai, moi, des statues… Rran… Rran…

Et il aura de l’avancement.

Octave Mirbeau, Le Figaro, 18 mai 1891