Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/246

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Avec M. Paul Hervieu, comme avec M. Maeterlinck et M. Barrès, je sais que je dois m’attendre, chaque fois, à de l’inattendu ; je sais que, dans le livre de demain, je goûterai des joies non encore goûtées dans le livre d’hier et que je ne soupçonne pas. C’est ce qui me touche le plus, c’est par là, seulement, que la littérature me passionne, aujourd’hui que presque tous les littérateurs ont du talent, et, qui pis est, le même talent.

Ce qui caractérise le talent de M. Paul Hervieu, c’est cette chose rare et grande qu’on rencontre très peu, dans les poètes : la conscience. Le poète n’est le plus souvent qu’une machine admirable, mais une machine ; une sorte de miroir très précieux, très orné, qui reflète, en les grossissant jusqu’à la difformité, les images des choses. On peut être un grand poète, sans être toujours un intellectuel. Mais quand on est un intellectuel, on est aussi, toujours, un grand poète. M. Paul Hervieu, qui est si foncièrement l’un, est l’autre également. Il sait ce qu’il sent, et il sent ce qu’il dit. En lui la sensation n’est pas seulement réflexe, c’est-à-dire l’esclave, l’esclave de ses nerfs, de ses organes, l’exaltation momentanée d’un heurt, d’une secousse ; elle est conscience. Et c’est cette conscience qui double la puissance et la variété de la sensation. Il n’obéit pas à des actes impulsifs, il n’obéit qu’à des actes raisonnés. Dans les cerveaux ordinaires, chez les petits esprits, seulement intuitifs, le mode de