Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/25

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ne grandit que les défauts et ne reproduit que des images horriblement déformées. Est-il donc vrai et exact ?

L’art n’est point fait pour nous apprendre quelque chose ; il est fait pour nous émouvoir, pour nous bercer, pour nous charmer, pour nous faire oublier les réalités brutales et les dégoûts de tous les jours, pour remuer dans l’homme ce qu’il y a de meilleur en lui, ce qu’il y a d’étouffé par la vie, et de délaissé et d’endormi au fond de son être. À mesure que la science va le dépouillant de ses espérances et de ses fiertés, l’art le relève et l’ennoblit. Il est la plus haute expression de l’amour, et l’amour c’est le rêve, le grand rêve poursuivi de l’humanité. C’est pour cela que dans tous les peuples, à toutes les époques, il a été, en quelque sorte, divinisé et qu’un grand artiste a toujours été plus grand, plus fêté, plus acclamé, qu’un grand savant.

Gardons le rêve, car le rêve est notre plus précieux héritage. C’est lui qui fait le prêtre, le soldat et l’artiste, cette trinité nécessaire à la vie sociale. La littérature et l’art seuls peuvent le conserver au cœur de l’homme, et l’homme meurt de ses rêves brisés.

M. Émile Bergerat aura eu cet honneur, en ce moment de platitudes exactes et observées, d’avoir fait sciemment, avec préméditation et