venir chez nous, si seulement nous pouvions posséder Lassouche ou Grassot…
— Grassot ?… Mais il est mort.
— Tu vois bien… nous ne savons rien, nous autres… Nous sommes voués à l’éternelle ignorance… Ici, c’est le royaume des ténèbres.
— Il n’y a donc pas d’usines en province, de terre à remuer, de commerce à tenter ? … Tu ne peux donc être ni médecin, ni notaire, ni propriétaire, ni juge, ni poète, ni magistrat ?…
— En province, il n’y a rien… Et nous ne pouvons être rien… Laisse-moi dormir.
— Mais tu pourrais au moins regarder ce qui est autour de toi…
— Regarder quoi ? Est-ce qu’il y a des arbres, des fleurs, des horizons… Il n’y a rien, je te dis… Laisse-moi brouter la terre… Et va-t-en… Car l’air est mauvais à ceux qui s’aventurent ici… Et dans un jour, tu serais pareil à moi… Retourne à Paris… Les théâtres sont rouverts…
— Et si tu possédais des théâtres, comme là-bas, tu serais régénéré ; la vie en toi refleurirait.
— Dame ! je le crois, puisque c’est ce que disent les Parisiens.
— Eh bien, attends, pauvre diable… Sois résigné, pendant quelques jours encore… Je t’enverrai Coquelin.
Octave Mirbeau, Le Gaulois, 20 octobre 1887