Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/99

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et les statues en l’honneur des médiocres heureux, rien ne demeure de ces constructions frêles et de ces fragiles images ; le temps use les mauvaises pierres aussi vite que les mauvais talents, il efface sur les bronzes durs, ainsi que sur la molle mémoire des hommes, les noms qui y furent gravés par la routine et par l’ignorance.

Et je songe avec mélancolie aux acclamés du jour qui, tous les soirs, s’endorment au son berceur de leur immortalité. Quand on a été — comme M. Alexandre Dumas, comme M. Émile Augier, comme M. Meissonier, comme tant d’autres dont la renommée sonore complète ce quart de siècle — que le résumé servile des amusements, que la forme d’esprit bourgeoise d’une époque, la distance du triomphe momentané au définitif oubli n’est pas plus longue que celle qui sépare la maison où l’on meurt, de la fosse où l’on vous ensevelit sous des fleurs muettes et fanées aussitôt. Car les époques se hâtent, et chacune apporte avec elle ses chansons et ses faux dieux, ses gloires, chansons qui se taisent, faux dieux dont les autels s’effondrent, gloires qui, brusquement, s’évanouissent et rentrent dans le grand silence des choses mortes. Aussi en ce métier harassant et douloureux des lettres, le brave artiste doit accomplir son œuvre, sans s’inquiéter de ce qui s’agite et bourdonne autour de lui, et les oreilles et le cœur fermés à tout ce qui n’est pas les musiques chères et les chères souffrances de