Page:Mirbeau - Les Deux Amants, paru dans l’Écho de Paris, 13 octobre 1890.djvu/10

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L’Amante (ironique)

Vous croyez !… Vraiment !… Alors vous vous imaginez que j’avais le besoin de dire à tout le monde : « Voilà mon amant ! » Comme c’est naturel, n’est-ce pas ?… (Avec irritation.) Et voilà comme vous m’estimez !… Pour qui me prenez-vous donc ?… Suis-je donc une fille perdue ?… Que c’est mal !… Que c’est mal !… (Elle sanglote.) Quelle honte !

L’Amant (éperdu)

Ah ! vous pleurez encore… vous pleurez encore !… Ma bien aimée !… Mais qu’avez-vous ce soir ?… Qu’avez-vous ! mon Dieu, je ne sais que vous dire, que vous répondre… vous dénaturez toutes mes paroles…

L’Amante

Ai-je mérité de me voir traitée ainsi, par vous… par vous ?… C’est trop cruel ! Et je suis bien punie !

L’Amant

Écoutez-moi… mais écoutez-moi… (Il la prend dans ses bras, la berce) Ma bien-aimée… voyons, ne pleurez pas… Cela me torture.

L’Amante (d’une voix, toute voilée par les larmes)

Il vaudrait mieux que je meure…

L’Amant

Ne parle pas ainsi… Ne parle pas ainsi… Je te le défends !

L’Amante

Si… si… il vaudrait mieux que je meure…

L’Amant (il la couvre de baisers)

Je t’en prie… Ne dis pas cela… Chasse toutes ces vilaines idées… Pourquoi te faire mal avec ces fantômes ?