Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/131

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» – Trente-cinq grammes ?… fit le chimiste, qui ne put réprimer sa stupéfaction… Diable !

» – Est-ce trop ? demanda le baron avec inquiétude…

» – C’est beaucoup…

» – Je paierai ce qu’il faudra… Et si vous aviez besoin de tout mon sang, prenez-le…

» – C’est que, objecta le chimiste, vous êtes bien vieux…

» – Si j’étais jeune, répliqua le baron, ce n’est pas mon sang que je donnerais à ma Boule-de-Neige adorée… c’est autre chose…

« Au bout de deux mois, le chimiste avait livré au baron un petit morceau de fer.

» – Il ne pèse que trente grammes… lui dit-il.

» – Comme c’est petit !… murmura le baron, dont la voix n’était plus qu’un souffle, et dont le visage semblait plus pâle qu’un suaire…

» – Ah ! dame ! monsieur le baron… Le fer est lourd et ne fait pas un gros volume.

» – Comme c’est petit !… comme c’est petit !

« Et regardant, au bout de ses doigts qui tremblaient, la menue parcelle, de métal, il soupira :

» – Ainsi, voilà toute ma substance !… Ça n’est pas beau… Et pourtant, il y a dans ce grain noir toute l’immensité de mon amour… Comme Boule-de-Neige sera fière de posséder un pareil bijou… un bijou qui est de la moelle… qui est du sang… qui est de la vie !… Et comme elle m’aimera !… et comme elle pleurera d’amour !