Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/148

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solennité affectueuse et dogmatique. Il n’y a plus, d’ailleurs, que les Américains pour être un peuple gai…

Dickson-Barnell approuva :

— En effet… dit-il… je suis gai, si tant est que je sache exactement ce que c’est que la gaieté. Mais cela ne veut pas dire que je sois heureux… Les moralistes ont raison, voyez-vous… Les riches ne peuvent pas être heureux… Le bonheur, c’est autre chose que la richesse… C’est même, je crois, le contraire.

Comme je m’étonnais de cette suite d’axiomes mélancoliques :

— Ah ! soupira-t-il… quand on est riche comme je suis, on a vu trop vite le fond de toutes choses… La vie devient quelque chose d’horriblement monotone, et sans imprévu… Les femmes, le vin, les chevaux, les voyages… les tableaux, les bibelots, si vous saviez combien l’on en ressent aussitôt l’écœurement… l’immense écœurement… l’immense vanité… Vanitas vanitatum.

J’étais décidé à flatter cet homme de toutes les manières, et je lui dis :

— Vous parlez d’or, monsieur.

— Dame ! répondit simplement le milliardaire, avec un geste dont je n’oublierai jamais la suprême mélancolie.

Et, après quelques minutes de silence, brusquement, il me demanda :

— Fumez-vous ?

— Volontiers…