Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/160

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tort en quelque chose ? As-tu à te plaindre de moi ?… Me connais-tu, seulement ?… Cela n’a pas le sens commun de me battre… Tu es donc fou ? » L’officier haussa les épaules et continua son chemin, suivi de toute la foule qui l’acclamait comme un héros… Quant au vieux juif, il reprit tranquillement sa place sur la borne… Je m’entretins avec lui : « Ils sont tous comme ça, me dit-il… Ils nous battent sans raison. Cet officier ne sait pas ce qu’il fait. Mais ce n’est pas un mauvais diable, après tout… Il pourrait me tuer… Personne ne lui dirait rien… au contraire, tout le monde le féliciterait. Et il aurait sans doute de l’avancement… Non, en vérité, ce n’est pas un mauvais diable… »

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… « À mesure que l’on pénètre plus avant, dans le pays, loin des grands centres, des activités industrielles, on ne voit plus rien que de la misère, que de la détresse. Cela vous fait froid au cœur. Partout des figures hâves, des dos courbés, des échines dolentes et serviles. Quelque chose d’inexprimablement douloureux pèse sur la terre en friche, et sur l’homme aveuli par la faim. On dirait que, sur ces étendues désolées, souffle toujours un vent de mort. Les bois sombres où dorment les loups sont sinistres à regarder, et les petites villes silencieuses et mornes comme des cimetières. Nulle part on n’aperçoit plus de brillants uniformes, ni des chevaux valseurs ; les cavaliers